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Le clochard

Il faisait un’ petite escale,
Sur c’banc public des grands faubourgs ,
Car quand on vit à fond de cale,
On a besoin de voir le jour.

« Regarde-le, ce fou à lier !
N’est-il pas laid !? » disent ceux-là.
Moi je crois qu’ils ont oublié,
Qu’on ne naît pas comme cela.

Ou encor ce père orgueilleux,
Qui sait la Vie pour son enfant,
Et qui expliqu’ d’un ton joyeux,
La Vérité du mendiant.

« Surtout ne le regarde pas,
Sinon tu deviendras comm’ lui.
Ecout’ ce que te dit papa,
Il ne mérite que la pluie ! »

« Si tu n’travaill’s pas à l’école,
Ou que tu brilles sans éclat,
Tu goûteras à l’herbe folle,
Qui te chang’ra en cancrelat ! »

Que ne parle-t-il de l’école,
Soupir’ le bougre à ces mots là,
Tandis qu’il pense dans sa fiole,
Qu’il n’était pas un cancre las.

Quelques restes de dignité,
Lui font chercher à tout hasard,
Un’ trac’ de son humanité,
Chez les passants des grands boul’vards.

Mais c’qu’il distingue au fond d’leurs yeux,
Est d’ la simple curiosité,
Car ces nombreux enfants de dieu,
N’ont pas cett’ générosité.

Et dans ses yeux point de colère,
Just’ la tristess’ de n’être plus,
Qu’ un vagabond que l’on tolère,
A condition qu’on n’le voit plus.

Son identité de notable,
A disparu dans le goulot,
D’une bouteill’ de vin de table,
Sur le comptoir d’un caboulot.

Et on le traite d’alcoolique,
Alors qu’il faut bien de l’audace,
Même quand on est mélancolique,
Pour s’enquiller pareill’ vinasse.

Et qu’il soit tôt ou qu’il soit tard,
Un gorgeron est le bienv’nu,
Car quand on march’ y’a qu’ce nectar,
Qui rend plus court’s les avenues.

Et quand il regarde les femmes,
On voit qu’l’Amour n’est plus son lot.
Ell’s détournent le regard. Dame !
Y’a pas d’tendress’ pour les soûlauds.

Mêm’ les putains du bataillon,
Qui portent frou-frous et dentelles,
Refus’nt les pauvres en haillons,
Car sans argent pas d’bagatelle.

C’est dans le squar’ des réprouvés,
Où s’est arrêtée son histoire,
Qu’est née cette fleur du pavé,
Cette excroissance du trottoir.

Et cette fleur est un chiendent,
Puisqu’on la trouve un peu partout,
Sur le pavé car cependant,
La friche est un début à tout.

Rassure-toi, bourgeois aigri,
La Mort ne dédaigne personne.
Que feras-tu de ton mépris,
En entendant le glas qui sonne ?

Jérôme Ancey
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