/ Textes / Poésie / Le réveil de Don Juan

Le réveil de Don Juan

Don Juan sortit de l’alcôve,
Troublé par le chant de la lyre,
Abandonnant ses airs de fauve,
A cette pauvre Don Elvire...

Car la lyre était l’instrument,
Que l’on appelle le Destin,
Et dont les cordes en vibrant,
Donnaient un sens à son chemin.

Mais la cantate avait changé,
Et ne chantait plus comme avant,
Elle chantait un air figé,
Qui désarçonna Don Juan.

A quelques mètres du grabat,
Il n’avait vu le sombre spectre,
Qui assistait à ses ébats,
Lui assénant des coups de plectre.

Sa conscience était apparue,
Sous les hauts traits du commandeur,
Qui le chassait, et à l’affût,
En le privant de ses ardeurs.

Et sa gloire s’était cassée,
Sur des vertes années jaunies,
Si bien qu’à cinquante ans passés,
Sa renommée était finie.

Ainsi il était vieux et frèle,
Ancien hableur au front ridé,
Et le fidèle Sganarelle,
Etait frappé de surdité.

Don Elvire de son côté,
Dans son lit à présent désert,
S’interrogeait en aparté,
Sur les causes de sa misère.

« Son cœur est un diamant qui raye,
Et il est tard dorénavant,
Car épouser homme pareil,
C’est se marier avec le vent… »

« Qu’il épouse vie de bohème,
Et courtise la valetaille,
Je me moque bien des « Je t’aime »,
De ce prometteur d’épousailles. »

Ainsi tourné en dérision,
Par sa favorite attitrée,
Il regretta sa décision,
Qui acheva de l’attrister.

« Toujours je renais de ses pleurs !
Dit-il en pensant à Elvire,
Et repousse comme une fleur,
Sur les bords du Guadalquivir. »

Ils vivaient donc en parallèle,
Une relation de l’Après.
Non, il n’était plus épris d’elle
, Mais simplement la tolérait.

C’est pour ce qu’elle avait été,
Qu’il l’avait vu au fil des ans,
Car il détestait sa piété,
Et ce qu’elle était à présent.

« Que puis-je faire Sganarelle ? »
Demanda-t-il à son valet,
Qui sans entendre ses appels,
Donnait du foin à son baudet.

Il fut envahi par le doute,
Car son orgueil était froissé,
D’avoir pris la mauvaise route,
La voie d’un idéal faussé.

Tout ce en quoi il avait cru,
S’était effondré maintenant,
Et sa confiance disparue,
Laissa la place au revenant.

Dans l’horizon des solitudes,
La silhouette de l’alcade,
Se dessina dans l’inquiétude,
De voir la fin de sa croisade.

« Nous voici enfin face à face,
Alors comprends que tu te leurres.
Regarde ta vie qui s’efface,
Et sois content qu’ait sonné l’heure.

« Je suis l’ombre de tes mensonges ,
Et tu me portes en ton sein,
Comme le cancer qui te ronge,
Porte dans lui sa propre fin. »

« Depuis l’andalouse Séville,
Aux confins des vieilles Espagnes,
Tu as parcouru la Castille,
Pour y trouver quelques compagnes. »

« Sans déférence et sans ambage,
Qu’elles soient reines des catins,
Ou petites filles bien sages,
Tu les as liées à ton destin. »

« Chaque fois devant l’éternel,
Tu mettais ton amour en gage,
Et séduisais les pimprenelles,
Par des promesses de mariage. »

« Tu as usé de ton pouvoir,
Pour satisfaire tes désirs,
Et par là volé les espoirs,
De ces victimes du soupir. »

« Pourquoi me parler de ces filles,
Qui m’ont octroyé le pouvoir,
De mettre un fer à leur cheville,
Pour une amourette d’un soir ? »

« J’ai toujours recherché la perle,
Du sommet de mon édifice,
Et cette quête du blanc merle,
A demandé des sacrifices. »

« J’ai extrait de chacune d’elles,
Les vertiges qu’il me fallait,
Et collectionner leurs dentelles,
Comme des grains de chapelet. »

« Car les vertus et les appâts,
Que j’ai saisis dans mes filets,
Hélas ne se rencontrent pas,
En un seul et même palais. »

« Tu as choisi la cessité,
Comme tout lâche qui s’ignore.
Être aveugle par volupté,
Est indigne de toi Señor. »

« La Vérité dont tu te railles,
Et qui réfute tes croyances,
Est enfermée dans tes entrailles,
Depuis le temps de ton enfance. »

« Le remède à ton mal de vivre,
N’est pas caché en chaque femme,
Ou dans l’orgueil dont tu t’enivres,
Mais dans les brumes de ton âme. »

« Ce grand secret que tu redoutes,
Et qu’il te faut pour être libre,
Est la cause de ta déroute,
Puisqu’il se nomme l’Equilibre. »

Ce fut un douloureux réveil,
Que ce violent frisson de l’âme,
Car bien que sorti du sommeil,
Son esprit brûlait dans les flammes.

« Tu as bel et bien confondu,
Les besoins et les sentiments,
Alors puisque tu as perdu,
Viens recevoir ton châtiment. »

« Prépare-toi à devenir,
Et que m’importe ta détresse,
Une bribe de souvenirs,
Dans la psyché de tes maîtresses. »

Alors le sombre commandeur,
Le regarda en s’avançant,
Et pénétra de sa froideur,
Son pâle corps au rouge sang.

Envoi

Bien qu’ayant déjà les paupières,
D’une statue au regard fixe ;
De ce visage de poussière,
Tomba une larme d’onyx...

Jérôme Ancey
1 2 3 4 5
Ce site utilise des cookies simplement pour réaliser des statistiques de visites. En savoir plus
Accepter
Refuser