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Les larmes de Méduse

Le quadrige attelé de fougueux destriers,
Hélios évoluait dans le ciel de Lemnos,
Baignant de ses rayons les antiques piliers,
Qu’avait fait se dresser le vieil Héphaïstos.

Les habitants vivaient sous le règne tranquille,
Du forgeron boiteux qui toute la journée,
Scrutait de son volcan les rivages de l’île,
Sur laquelle on l’avait un jour abandonné.

Ce confluent des mers, de la terre et des cieux,
Renommé pour son sol où pousse le falerne,
Abritait en secret un être fallacieux,
Que l’on tenait captif au fond d’une caverne.

Eloignée des lueurs du royaume d’Astrée,
Par un mur végétal de chardons et de lierre,
Et dotée de barreaux qui en scellaient l’entrée,
La grotte avait l’aspect d’une cage de pierre.

Ce lugubre cachot où le temps s’abandonne,
Demeurait l’univers d’une étrange recluse,
Et portait en son sein la troisième gorgone,
La plus laide des trois qui avait nom Méduse.

Des gueules de serpents tombaient sur son visage,
Et caressaient un nez à l’arête crochue,
Dévoilant le contour d’un bec anthropophage,
Qui savourait la chair de sa langue fourchue.

Athéna et Hermès, raconte la légende,
Auraient aidé Persée à déjouer ses ruses,
Et lui auraient donné des armes en offrande,
Pour qu’il aille chasser l’indomptable Méduse.

Pourtant ce ne fut pas l’athénienne déesse,
Qui voulut capturer cette femme serpent,
Mais un autre seigneur dont l’âme vengeresse,
Grandissait chaque jour au fond de l’océan.

Afin de se venger de sa vieille maîtresse,
Le souverain des mers ordonna à Persée,
De s’en aller punir cette hideuse traîtresse,
Qui l’avait exilé de ses tendres pensées.

Poséïdon nomma un jeune et bel éphèbe,
Pour être le gardien de l’engeance félonne,
Et lui recommanda au milieu de la plèbe,
De ne pas regarder les yeux de la gorgone.

Ce fut donc le début d’un insidieux calvaire,
Qui suscita l’amour d’un jeu contre-nature,
Puisque l’âme sereine et le regard couvert,
Le jeune homme venait nourrir la créature.

A l’aube il arrivait par le bas de la sente,
Le bandeau recouvert de rosée du matin,
Car les branches frappaient sa figure innocente,
Comme pour annoncer les larmes du destin.

Amusé de surcroît par la situation,
Zeus voulut se jouer des deux aventureux,
Et transforma le sort de ce jeune garçon,
En frappant l’égérie du désir amoureux.

Eros décocha donc une invisible flèche,
Qui alla se planter dans le flanc de la muse,
Et la flèche en passant fit voler d’une mèche,
La serpente toison de l’horrible Méduse.

Aussi sûr que l’esthète adore la beauté,
Le novice au cœur pur arbore la laideur,
Dans ce qu’elle a de beau en son atrocité,
Et y trouve le fruit de nouvelles splendeurs.

Il voyait en elle la perle de l’aurore,
Qui attisait le feu de sa curiosité,
Tout comme le faisait la boîte de Pandore,
Ce coffret mystérieux aux mille vérités.

L’ivresse d’un futur envoûta la vestale,
Qui succomba bien vite au joug de son empire,
Car le son de sa voix était un récital,
Et elle se pâmait en buvant ses soupirs.

On pouvait entrevoir au fond de sa pupille,
Et malgré les dehors d’un rictus malfaisant,
La timide candeur d’une petite fille,
Car même les monstres ont été des enfants.

Tellement convaincue que sa seule existence,
Résidait dans l’iris de l’aveugle geôlier,
Elle crut se soustraire au regard de l’absence,
En ôtant de ses yeux le bandeau familier.

Dès qu’elle eut arraché le ruban protecteur,
L’éternité figea le malheureux complice,
Et lisant dans ses yeux l’empreinte de la peur,
Elle vit la folie de son dernier caprice.

Alors elle embrassa cette bouche sans vie,
Pour posséder enfin le corps de sa chimère,
Tandis que de son œil non encore assouvi,
Roulaient quelques cailloux de plaisir éphémère...

Jérôme Ancey
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